Sculpture du nord de l'île d'Ambrym

Sur l’île d’Ambrym, dans l’archipel du Vanuatu, les pierres ne sont pas inertes. Certaines, appelées müyù ne bu, sont considérées comme magiques. Chargées de puissance, elles sont utilisées par les hommes dans des contextes rituels et économiques étroitement liés à l’acquisition de cochons mâles castrés à longues défenses, de véritables monnaies vivantes dans la société mélanésienne.

Ces porcs ne sont pas de simples animaux : ils sont des marqueurs de prestige, des instruments d’échange et des offrandes essentielles dans les rituels d’élévation sociale, notamment dans le système de grades traditionnel appelé maghé. Leur valeur dépend de l’incurvation de leurs défenses inférieures, dont la croissance peut prendre jusqu’à huit ans. Le cochon devient alors une unité de mesure sociale, un bien spirituel doté d’âme et de langage.

Les müyù ne bu jouent un rôle central dans ce système. On leur attribue le pouvoir d’influencer les négociations, d’attirer les bonnes opportunités ou de faciliter les acquisitions de porcs rares. Lors d’échanges, chaque partie peut compter sur sa propre pierre magique, faisant de la transaction une lutte silencieuse entre puissances invisibles, plutôt qu’un simple accord entre hommes.

Longtemps tenues secrètes, ces pierres ont été mal comprises par les missions chrétiennes, qui les ont parfois perçues à tort comme maléfiques. Pourtant, dans la culture locale, leur pouvoir est protecteur et bénéfique : elles assurent la fertilité, la prospérité, la santé des troupeaux, la réussite des rites et la reconnaissance sociale.

Certaines de ces pierres sont aussi liées à des esprits mythiques, dont elles sont considérées comme les manifestations matérielles. Elles véhiculent des récits transmis oralement depuis des générations, intégrant chaque pierre dans une histoire vivante, profondément enracinée dans le paysage, les lignages et les alliances.

Les pierres magiques d’Ambrym témoignent d’une intelligence rituelle où le spirituel et le social sont indissociables. Elles rappellent que dans ces sociétés insulaires, l’art n’est jamais purement esthétique : il agit, il relie, il transforme.